UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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Solidarnosc est le fruit de la rencontre entre les ouvriers et les intellectuels


À l’occasion du 40ème anniversaire de la création du syndicat Solidarnosc, nous avons interrogé Georges Mink, sociologue français d'origine polonaise spécialiste de l'Europe centrale et orientale.

Qui êtes-vous Georges Mink ?

Georges Mink

Je suis actuellement Directeur de recherche émérite au CNRS, titulaire de la chaire de civilisation européenne dédiée à la mémoire de Bronislaw Geremek, au Collège d’Europe, campus de Natolin en Pologne.

Je suis aussi président d’une importante association professionnelle regroupant les associations nationales de 18 pays, spécialisées dans la recherche et l’enseignement sur la Russie, l’Europe centrale et orientale et l’Asie : International Council for Centrale and East European Studies (ICCEES).

Dans les années qui ont suivi la naissance du syndicat indépendant et autogéré « Solidarnosc », (1980-1989), j’ai été sollicité par Edmond Maire, secrétaire général, comme expert pour les affaires polonaises auprès de la direction de la CFDT.

Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de la naissance du mouvement syndical libre et indépendant, Solidarnosc ?

Le syndicat Solidarnosc est né en août 1980 dans une vague de grèves de la classe ouvrière polonaise, comme une réponse à l’absence de la liberté syndicale et intellectuelle, de l’opposition au creusement des inégalités sociales, rejetant les ouvriers et les paysans polonais au bas de l’échelle sociale, à la faveur de l’enrichissement de la nomenklatura communiste. Depuis 1956, comme en 1970, puis en 1976, les ouvriers polonais ont affronté le pouvoir quasi- totalitaire communiste à mains nu, dans la rue, avec des revendications économiques, mais aussi pour le respect de leur dignité dans un régime qui, en paroles, se prétendait être représentant de la cause de la classe ouvrière. Au prétexte de gouverner au nom des ouvriers ce régime a instauré un système de l’injustice sociale et de strict encadrement de la société par tous les moyens coercitifs, pour empêcher toute voix dissonante à exprimer la critique. Aux dates citées plus haut correspondaient des affrontements sanglants qui étaient couteuses en vies humaines et sans résultat tangible, sauf le maintien du pouvoir d’oppression. Pour le comprendre il suffit de songer aujourd’hui à ce qui se passe en Biélorussie.

Les intellectuels polonais, eux aussi après des tentatives infructueuses et socialement isolées, ont fini par rejoindre les ouvriers révoltés, en leur suggérant, suivant le slogan d’un de leaders intellectuels les plus éminents, Jacek Kuron, de plutôt que de « bruler les comités du Parti (communiste) il valait mieux créer leurs propres comités de grève et d’auto-organisation ». La naissance de Solidarnosc est pour grande partie le fruit de ce long processus où se produit la rencontre entre les ouvriers et les intellectuels, pour une formule de contestation du régime, qui laissa les communistes un moment désemparés, incapables de répliquer autrement qu’en cherchant à faire dégénérer la situation pendant 500 jours, pour finalement écraser le mouvement social par l’armée polonaise. Malgré une répression, très dure (plusieurs morts dans les mines et les usines, parmi les prêtres et les dissidents, plusieurs centaines de militants internés), les militants de Solidarnosc maintiendront le flambeau et finiront presque 10 ans plus tard d’obtenir du régime communiste, d’abord la négociation autour de la Table ronde (1986), puis à abandonner le pouvoir. Grâce à cela, en Juin 1989 est née la Pologne indépendante et démocratique, au sein de ce qui était encore l’empire soviétique.

Quel a été votre rôle à l’époque ?

Inutile de dire qu’étant lié à l’opposition démocratique polonaise depuis le lycée en Pologne, puis suivant de près et aidant l’émergence de la nouvelle opposition démocratique en Pologne, j’ai été ravi de ce qui se passait dans les chantiers navals de Gdansk aussi de la grève générale en Pologne, pour le pluralisme syndical. J’ai été très motivé pour aider par mes modestes moyens le mouvement social polonais, le syndicat Solidarnosc et mes amis intellectuels qui devenaient les experts auprès de ce Syndicat. J’ai pu ainsi aider dès le début à la prise des contacts entre Solidarnosc et la CFDT, dont le secrétaire général Edmond Maire, a tout de suite compris et soutenu la dynamique qui se construisait.

Grâce à Claude Sardais (militant CFDT de la métallurgie en Ile de France ayant tissé des liens durant de nombreuses années avec les milieux polonais de l’opposition) et qui, muni d’une lettre d’Edmond Maire, la CFDT ainsi a été le premier syndicat occidental a apporté son soutien aux ouvriers de Gdansk. Lors de deux voyages en France de Lech Walesa et des nombreux syndicalistes et intellectuels polonais, de toutes organisations, la CFDT a joué le rôle central. J’ai pu y contribuer par mes expertises, par mes contacts. Je peux dire que la partie la plus exaltante de ma vie est liée à ces événements des années 80-90, dont j’ai pu rendre compte à l’usage de l’opinion publique française d’abord au journal de la 3e chaîne, puis de TF1 et Antenne 2. Sans parler de très nombreuses radios.

En quarante ans, la Pologne a trouvé sa place en Europe tant au plan institutionnel que syndical et associatif. Qu’en pensez-vous ?

Les premières 25 années de la Pologne indépendante et démocratique m’ont fasciné par le dynamisme des Polonais qui ont réussi en un temps record d’apurer la dette extérieure gigantesque contracté par les communistes, puis obtenir une croissance positive faisant pâlir de jalousie les économies avoisinantes. Puis passer la crise de 2008 comme le seul (avec Chypre je crois) pays sans régression de la croissance. Les Polonais en reconnaissance de cette exemplarité ont obtenu des postes les plus éminents dans l’Union Européenne comme celui du Président du Parlement Européen pour Jerzy Buzek et du Président de l’Union Européenne pour Donald Tusk. Cependant le dogmatisme de l’orientation ultra libérale, critiqué souvent par quelqu’un comme Karol Modzelewski (historien), a créé d’importantes inégalités entre les bénéficiaires de l’adhésion à l’UE et à l’Otan et ceux qui sont restés sur le bord de la route.

Cela a donné une chance aux populistes de jouer sur cette relative « déprivation » (comme le disent les sociologues anglo-saxons) et construire un fort courant nationaliste et eurosceptique des mécontents. Le déficit de la narration historique a fait le reste. Dans ce creuset s’est engouffré Jaroslaw Kaczynski avec les troupes du Parti « Droit et Justice » en obtenant des succès électoraux. Puis a commencé le démontage des mécanismes de contrôle démocratique car le principal souci de Kaczynski n’était pas d’obtenir plus de justice sociale (même s’il a instrumentalisé cette question pour des raisons électoralistes), mais de garantir à lui et à ses supporters une durée de monopole de pouvoir, la plus longue possible, sur le modèle initié également par Victor Orban en Hongrie.

Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon

Voir aussi : Il y a 40 ans naissait en Pologne le syndicat Solidarnosc